Poèmes de Gil Pasteur

Noces de sable

I

Tu m’as créée pour un amour démesuré. Pourquoi mon âme demeure-t-elle dans un corps si fragile ? Obscure et douloureuse cette passion d’inquiétude et démentielle l’exaltation dans laquelle elle me maintient.

II

Tu as fui sous ce ciel tellement clair que je ne sais toujours pas s’il était le premier ou le dernier du monde. Tu n’as pas eu le courage de regarder l’appel de mes yeux. Tu t’étais tourné vers le chemin que tu avais déjà choisi et qui t’éloignait de moi à jamais. Je suis restée seule et immobile sous le soleil, cherchant à capturer la trace de ton ombre et j’ai murmuré dans ta langue les mots de soumission.

III

Pourquoi me l’avais-Tu donné si c’était pour me le reprendre ? Crois-tu que j’aie la force des lionnes pour supporter cette déchirure ? Quel plaisir prends-Tu à me voir à genoux murmurant une prière que tu ne parais pas entendre et pleurant de souffrance ? Je ne comprends pas et tu le sais. Je ne sais pourquoi mes pieds si légers s’échardent dans ce chemin, pourquoi, peuplée de tant de personnages, je suis seule à hurler des mots de sable.

IV

Je suis revenue dans la demeure de l’Aimé. Comme dévastée par une horde sauvage. J’ai lavé les draps de l’amour tachés du sang des vierges que je lui avais offertes. Leurs cris d’angoisses, leurs sueurs de plaisirs me revenaient au bord des yeux, au bord des lèvres, au bord du coeur. Drapeaux blancs de mes redditions claquant dans le soleil, ils m’apportaient l’appel du vent du désert.

V

Mon Dieu, je n’étais guère au monde avant de le connaître mais depuis qu’il s’est éloigné de mon corps, il me semble être devenue irréelle. Des gestes mais dont le sens m’est étranger. Mon coeur un poids lourd et sombre que je traîne misère. Je suis restée en lui - l’Absent - comme je suis en Toi. Que veux-tu donc de moi ? Je suis à la fois stérile et en état de viduité.

VI

Tu es parti vers une part de toi-même en ignorant que ta vérité n’existait qu’entre mes mains. Sans vouloir croire que j’étais ta vie et que ma mort serait ta mutilation éternelle. Tu connaîtras la douleur de l’Arraché, tu goûteras le sel amer des lèvres désertées, tu sentiras mon absence dans tous les corps que tu voudras aimer. Tu me rechercheras mais seul le tambour des sables te parlera encore de moi.

VII

Contre toute raison, j’attendrai. En errant sur les pistes marquées des signes mystérieux des solitaires. Je pars à l’heure où la première prière déchire le ciel et foudroie l’onirique péché de la chair. S’éloigne pour moi la terre que borde l’écume où se croisent les voiles prometteuses de l’oubli du large. J’ai préféré l’immensité du sable à celui du sel. Je n’ai d’autre boussole que mon propre mirage.

VIII

Je jure de ne revenir en ces lieux qu’au bras du Bien-aimé. Comme est long l’écartèlement. J’avance dans ma seule ombre, dans mon seul bruit. Pourquoi n’ai-je point aimé quelqu’un d’aussi fou que moi ? Pourquoi dois-je être tout ensemble Majdhûb et Layla ? Comme lui, je la cherche partout mais la folie me guette puisque je suis aussi Layla.

IX

O mon obsession de nuit lunaire, je suis au repos ce soir dans une oasis remplie de fleurs. Les yeux clos, je revois les bouquets de roses et de chèvrefeuille du pays de la montagne où je t’ai rencontré, les bouquets de jasmin au coucher du soleil… Tant de fleurs sur nos chemins… Mais ici, le vent est lourd, orageux, chargé de mouches. J’attends que passent le temps et la route qui m’emporteront au pays de ton corps quand le roi de coeur y sera revenu. O ma nécessité, me donneras-tu encore ce qui me manque ? Ton amour, ta présence, tes aubes souriantes et surtout la chaleur de ta peau qui seule pourrait me rassurer contre la mort ?

X

J’avance au rythme lent de mon équipage et parle seule dans le vent et la soif. Parfois, je me prends à sourire en me disant que finalement mon Bien-aimé, tu n’es qu’une affaire entre Dieu et moi. Homme libre, savais-tu que tu n’étais qu’objet de palabre mystique ?

XI

Amour de nuit, mélandre qui colle à ma peau nue enveloppée dans ma gandourah, tu m’as volé mon rire et mon sommeil. Et c’est moi qui suis crispée comme un malfaiteur. Qui me cherche dans cet enfer ? A quel dieu ai-je inspiré tant de colère ? Pour apaiser mon angoisse j’égrène mon chapelet de santal. Je crois que je deviens doucement folle mais je prie pour toi plutôt que pour moi.

XII

Pourquoi m’avoir fait la route aussi dure ? Le vent de sable me brûle les yeux jusqu’au sang et trouble mes oreilles. Pour quel miroir cherches-Tu à donner à mon corps la dureté diamantine ? Il se peut que Tu te trompes sur sa résistance. Je faiblis. Une dune cache l’autre. Dansent dans leur éclat mes fantasmes ou mes souvenirs, je ne sais plus. Mon corps s’effraie devant l’épreuve de l’ordalie.

XIII

Oasis. L’eau fraîche des bassins qui calme mes brûlures. L’accueil du lait et des dattes et le sable ombré doux à mes pieds dans les venelles. Vallée de l’oued. Une nuit du sud presque dure à force de beauté. Sur une terrasse amie, je bois doucement le thé à la menthe pendant qu’une flûte se plaint de ma douleur.

XIV

Des milliers de lieues étirent ma vie suspendue à la tienne ô Bien-aimé. Momentanément immobile, j’attends dans la prière un geste ou un appel afin que cesse le supplice de l’écartelée. Je croyais cette terre à la mesure de mon âme, comme un don de Dieu. Pourquoi m’oblige-t-il à m’écarter des refuges qu’il me fait entrevoir ?

XV

Ta peau, terre d’oubli. Forêt de tes cheveux bleutés. Je connais par coeur les sentiers de tes veines et puis faire des arrêts là où elles s’agitent plus qu’ailleurs… le bruit de ton sang… Je connais la courbure tendre de ton sein, la largeur précise de tes reins, le creux aux baisers, le grain de ta fesse, les tendons de tes pieds. Et le puits où étancher mes soifs. O pierre levée, autel de mon adoration, pourfendeuse d’espaces. Pas un coin de cette terre où ne poussent mes immortelles, où ne paissent mes chimères.

XVI

Petite fille que je croise d’un sourire, sais-tu qu’un jour le haïk ne laissera plus visible de toi qu’un coin d’oeil, et que pour tout le monde, excepté celui qui t’aura choisie comme un fruit, tu cesseras d’exister ? Moi, si visible dans le miroir de tes yeux, je n’existe pas… Seul le Bien-aimé m’anime. J’ai besoin de lui sans cesse pour ne pas être semblable à toi, enfant d’un long silence. S’il me manque, je ne sais où porter mes pas et mes larmes.

XVII

L’aube est arrivée sans que j’aie rencontré le sommeil et j’ai vu basculer toutes les étoiles du ciel. J’ai croisé l’heure imminente mais la lune ne s’est pas fendue.

XVIII

Je t’aime. T’aimant, je me perds en toi. Je t’aime et ne veux pas me lasser de te le dire, de te l’inventer, de te le caresser, d’en faire un feu de douceur ou de douleur sur lequel nous brûlerons ensemble. Je t’appartiens, ô Maître… Comment les gens qui me croisent ne voient-ils pas que ta peau manque à ma peau, ton sourire à mon sourire, ta main à ma main et que tout mon être est tendu vers toi, l’Absent ? Je suis l’écorchée de ta vie.

XIX

O Seigneur, que les gestes répondent au coeur enfin, dans une création continue de l’Amour, dans la lumière foudroyante de l’Absolu. Je sais sa zone d’ombre épaisse et noire. Je marche sur la ligne qui les sépare depuis si longtemps comme un funambule manichéen. Y avait-il un bien ? Y avait-il un mal? L’homme a-t-il sa volonté ? Ce matin, je veux danser dans la lumière pour écraser mon ombre, comme les fous.

XX

C’est l’heure où tous les oiseaux chantent, l’heure où tu me dirais bon jour comme toi seul sais le faire. Je voudrais, de tes cheveux décoiffés où se perdaient mes mains et mes lèvres, jusqu’au dessous de tes pieds qui eurent la folie de te mettre sur mon chemin, je voudrais - ô tellement ! - parsemer l’étendue de ton corps de baisers et déposer sur ta peau l’offrande des fleurs et des oiseaux de l’aube. J’attends, ô Bien-aimé, le matin clair où je te retrouverai contre mon coeur.

XXI

Symbole de mes pères, tu contenais à toi seul tout ce qui berça mes ancêtres, tout ce que je croyais perdu dans le temps. Le soleil, les oliviers, la mer, le sable, les voiles latines, le figuier des barbaries, la fraîcheur des puits et cette inaltérable soif d’amour qui les fit se reproduire pour qu’un jour je te rencontre, pour qu’un jour je dépose mes armes de conquérante devant toi… Au fond de toi je me suis perdue. Au fond de toi j’ai retrouvé le Créateur.

XXII

Toutes les recherches de ma vie tendent vers une synthèse dont tu es l’Unité. J’ai besoin de toi pour vivre, je respire avec ta poitrine, je bois avec ta bouche, je caresse avec tes mains, j’aime avec les battements de ton coeur. Garde-moi dans ton ombre ô Bien-aimé. Abandonne-toi à ma folie comme je m’y abandonne.

XXIII

O Bien-aimé, chaque jour perd un peu de réalité. Tout ce qui m’entoure me parait étrange et superflu. Je ne vois que toi, n’attends que toi, j’ai tout axé sur toi. Ton sang court dans mes veines. Je suis en syngamie avec toi, ô mon Absence. Je ne vis que parce que tu vis. Si tu me rejettes, je mourrais mais tu perdras ton sang par ma blessure et nul ici-bas ne pourra te sauver.

XXIV

Parfois, je te rêve attaché pour mieux assouvir mon besoin de t’aimer. Je commence par lécher toute la surface de ta peau mise à nu, je te caresse jusqu’à te faire hurler de désir puis, tranquillement, morceau par morceau, je te dévore doucement le coeur.

XXV

Je vis dans un monde dont l’horizon serait ma chute. Pourquoi bouger ? Mon temps est devenu immobile. Je ressens le mal des ardents quand je tente de trouver des points de rencontre avec les autres. Toi tu es de ce monde et de tout temps puisque tu ne peux en partir sans faire une large plaie. Ai-je vécu sans toi ? Non, je viens de naître, je n’ai même pas de nom sauf celui d’Unique que tu me donnes et je ne sais plus rien dire sauf psalmodier : je t’aime je t’aime je t’aime…

XXVI

Plus je t’aime, plus je m’enfonce en moi-même, plus grand devient mon désir de me perdre. Je t’aime. Je t’aime comme on entre en religion, de toute mon âme. Je suis tienne et tu es mon maître, ô Mulaya. Que ne te donnes-tu à cet amour comme je m’y adonne afin que nous connaissions l’embrasement total qui nous détruirait pour que nous renaissions enfin à la vie ?

XXVII

Mon amour, mon dernier jour, ma dernière foi, dois-je t’enfouir au fond de ma déraison, dans l’immobilité d’une prière que je voudrais éternelle ? Dois-je t’attendre les yeux fixés sur un cadran lunaire ? Etant si peu à la vie, je vais finir par perdre conscience de ton absence si elle se prolonge.

XXVIII

Sur ma peau, je traque ton odeur et je sens sous mes doigts les formes de ta vie. Ta bouche est la mienne, ta salive est pour ma soif. Parviendrai-je à traverser ce désert ? Autour de moi il n’y a qu’absence et silence, hormis mon coeur fou qui gronde.

XXIX

Mon Aimé… J’aimerais ce nom plus possessif encore. Mais il n’est que la projection de l’amour qui est en moi qui ne m’appartient pas. O mes sorcières-mères, aidez-moi à lui faire croire que nous sommes liés comme la chaîne et la trame, comme la ligne d’une vie au destin d’un enfant qui vient au monde.

XXX

J’ai posé tout le poids de ma liberté, tout le sens de ma vie sur cet amour. Tu peux, d’un arbitraire, me faire voler en éclats… O ma terre promise qui fait faux bond à la lune, dans quel futur m’ouvriras-tu les bras ? Ta peau d’or était toute ma richesse. Désespérément, je tente d’immobiliser ce temps sans lumière.

XXXI

Je ne sais plus où je suis, jours et nuits sans sommeil. Nue dans le soleil et sous la lune, je me baigne dans leurs flaques et crains le froid de l’ombre. Je suis comme une pierre, une rose des sables, en attente d’étreinte, porteuse d’éternité, ses durs pétales éclatés comme mes doigts tendus vers le ciel silencieux de ton absence.

XXXII

Ce geste si simple que tous les hommes font, marcher, pourquoi m’est-il devenu si lourd, si difficile, si compliqué ? Si tu n’es pas au bout de mon chemin, planté droit dans la lumière de mon espérance et de ma foi vivante, si tu n’es pas mon but, pourquoi continuerais-je à avancer ?

XXXIII

Tu étais l’incarnation de ma silencieuse mémoire de Dieu, ma création du monde, mon premier matin et la joie de ma nuit. Ma vie, c’était ton souffle. Le souffle de ton âme que tu ne connais pas.

XXXIV

Je suis l’Errante, la Sans-Terre, immobilisée çà et là dans des prières qui coupent mon exode. Pour avoir partagé les joies oublieuses des lotophages, j’ai perdu le goût d’autres conquêtes et la curiosité de fruits nouveaux.

XXXV

Si tu devais me faire mourir, que ne l’as-tu fait de tes mains que j’aimais tant ? Même si elles m’avaient étranglée, je les eus trouvées douces, plus douces que cette immense blessure qui n’en finit pas de saigner. Pourquoi t’ai-je rencontré, ô Mulaya, pour vivre ou pour mourir ? Sur ta peau que mes caresses tentaient de lire, sur ce parchemin de nuit, j’ai laissé Dieu écrire mon destin d’Immolée.

XXXVI

Ma fin… Elle n’était pas là où je la croyais, sur les routes des rêves avortés, des puits à sec, des fièvres sans objet… Sexe et prière, symboles de mes excès d’amour. O temple de mon coeur, éclatant d’amour divin, jusqu’à ma fin je te prierai, dût ton excessive lumière me rendre aveugle avant de me consumer.

XXXVII

Je voudrais aimer moins. Je ne peux. Mes pas, qui ne conduisent qu’au désert du désert, martèlent doucement dans le sable les syllabes de ton nom. Envoûtée d’obsession, je sens me guetter la mort des derviches tourneurs.

XXXVIII

Parviendrai-je à t’oublier ? Oublie-t-on une épée scellée dans sa chair, oublie-t-on qui vous a crucifiée ? Ni ma peau, ni mon odeur ne sont miennes. Malgré tant de pleines lunes dans des lits d’épines noires, j’ai gardé le reflet de ta couleur, mes pores exhalent ton parfum, mes sueurs ont le goût de tes peines et mes yeux t’ont à jamais emprisonné. Au fond des puits, c’est toi que je vois quand je me penche. Tous mes sens t’ont retenu. Tu ne seras plus jamais libre si je ne me libère de toi. Tu es à moi sur cette terre. Je n’aurai de repos éternel qu’en fusion avec toi.

XXXIX

Je ne vois plus mon reflet sur le sable. Je me suis perdue en toi jusqu’à l’oubli. N’étant plus rien et ne pouvant devenir toi sans te perdre, je suis l’ombre de ton ombre, fragile état que le vent pousse de plus en plus loin des hommes. J’ai perdu jusqu’au souvenir du corps solide de notre réalité. Suis-je devenue - et seulement - le négatif d’un rêve ?

XL

Vivre : être toi plus que toi-même.

XLI

Mais je ne sais plus vers qui tendre mes mains, devant qui me mettre à genoux. Je n’ai pas supplié. J’ai adoré. Mon cri est sans écho. Seule, je suis seule. Et perdue. Même ma peur serait inutile. Le sable frémit d’impatience devant nos noces prochaines.

XLII

Amour, Amant, Aimé, seul Dieu peut être tout cela à la fois. Hérétique obstinée, je t’ai divinisé pour mieux t’aimer. Mais Lui seul est en nous comme nous sommes en Lui. Quand je t’aimais, c’est Dieu que j’honorais et que je trouvais. C’est toi que je perds. C’est moi qui meurt. Toi, qui es-tu?

XLIII

Etres définis, heureux mortels, comme toi. Le silence, c’est toi, comme l’absence, comme le vide vertigineux. Tu n’as été que cela et j’ai monologué sur un chemin jalonné de symboles. Ai-je un jour entendu ta voix ? Je ne le crois plus. Un monologue, seul celui qui le poursuit peut y mettre fin. Ma fin de toi… Ma faim de toi… L’axe ensoleillé m’éblouit et me brûlent ses orbes salées. L’ombre me fait prendre la tangente.

XLIV

Ai-je besoin de ce Toi avaricieux ? Mon amour, c’est l’amour de l’amour. Donc, tu n’existes pas. Il ne faut plus que tu existes afin que cessent en moi ce hurlement et cette douleur qui me déchirent. Vais-je enfin m’enfanter ?

XLV

Silence de mort. Un doigt invisible vient d’écrire ton nom sur le sable. Je tremble car je hais les fantômes, ces êtres de mauvaise conscience, ces impostures de rêve. Oui, tu es une imposture, il ne faut plus que tu existes. Je ne sais plus ton nom que je gémissais sous tes caresses. Je me roule dans le sable pour effacer ta marque et ma douleur. Je vais dormir avec la lune.

XLVl

Il n’y a plus que Dieu en moi.

XLVII

Fallait-il vraiment que la douleur m’épure pour que Tu triomphes ? Ce moi broyé Te satisfait-il ? N’es-Tu donc jamais la joie du corps ? Je croyais le mien fait pour l’amour. Sa beauté, mes talents d’amoureuse, était-ce pour les détruire que Tu me les avais donnés ? Consumée, pétrifiée par la douleur et le jeûne, je ne puis que me rendre et m’abandonner à Ta volonté. Sois satisfait, ô Seigneur, j’ai perdu la force et le désir de lutter davantage.

XLVIII

Le poids du sable sur mon corps. Froid et lourd. Lui me revient en nostalgie m’écartelant sous ses membres, recouvrant par sa peau toute la mienne, mains et pieds joints, brûlants de notre fièvre ardente. Les coups sourds de nos coeurs… arcanes incompris. J’entends de nouveau dans mes oreilles les sons de ce furieux tambour que maintenant je reconnais : il dit le plus vieux chant du monde, celui de l’amour et de la mort.

XLIX

Le vent du désert effacera ma trace. Seules deux pierres diront à ceux qui passent, à ceux qui savent lire le langage du sable, qu’il y eut là deux mains tendres où la vie s’inscrivait pour un temps de brûlure, un sourire qui prolongeait l’enfance et des yeux qui promettaient le ciel aux païens… Vanité de la vie, je contemple ma tombe et prie pour le repos de celle que je fus.

Prix Prométhée

Prix Prométhée 1977 de poésie mystique et spirituelle - Communiqué officiel

Messieurs Max-Pol Fouchet, Charles Le Quintrec, Jean Mambrino, Gérard Mourgue, Jean Onimus, Jean Orizet, Jean-Claude Renard et Robert Sabatier, Jurés Nationaux du premier Concours Prométhée de Poésie Mystique et Spirituelle, se sont réunis à l’initiative de Monsieur Guy Rouquet, fondateur du Concours et Président du Grenier des Arts et des Loisirs de Lourdes.

Au terme de sélections se déroulant dans le plus strict anonymat, le Jury National a décidé d’accorder son parrainage à Madame Gil PASTEUR, de Paris, pour son recueil Noces de Sable.

Le Jury tient à souligner le caractère particulièrement original de ce concours annuel et international destiné à promouvoir de façon concrète des talents nouveaux dans le domaine de l’écriture poétique.

Lourdes, le 30 juin 1977

Préface

Ce poème fascinant et calciné (car il s’agit bien d’un seul poème en quarante neuf fragments) est semblable au désert. Nu, austère, et pourtant d’une étrange volupté dans le glissement de ses dunes. Et la verticale du soleil a la force aspirante de l’Absolu. Ainsi Noces de Sable évoque, plutôt que les lettres sublimes d’Héloïse ou les chants de Louise Labbé, la grande poésie des soufistes musulmans à la fois charnelle et mystique. L’âme (est-ce l’âme ? on ne sait, Dieu le sait) est comme arrachée du corps par la violence de sa passion, et tend vers l’Innommé à travers l’amant qui la brûle. Il s’agit bien d’un amant de chair, mais absent; pour toujours en fuite et absent. Et le désir de l’amante semble lui-même à chaque instant s’échapper, se dépasser à l’intérieur de l’incendie qui le consume. L’amour fou de l’Autre ouvre la brèche, la déchirure irréparable où s’engouffre une haleine au goût de soleil et de mort. Eblouissement. Aveuglement. Cendres. D’où l’âme et le corps peuvent peut-être renaître, sans jamais oublier.

Jean Mambrino

Commentaires

Très beau. Une femme douloureuse. Une femme blessée dans l’esprit même de sa chair.
Charles Le Quintrec

J’aime Noces de Sable à cause de ce mélange ambigu (bien espagnol) de sensualité et de mystique - et cette atmosphère arabe, nomade, chaude.
Jean Onimus

Ici, je suis très sensible au feu qui brûle les phrases, à la tension qui se poursuit presque sans défaillance, à l’alliance ambiguë de l’amour profane et de l’amour sacré.
Max-Pol Fouchet


Pierres d'attente

I

Je veux des fleurs dans la bouche de mes statues
mes ancêtres de bois que le vent peut coucher
dont les yeux vides me fascinent et me jugent
je veux des fleurs pour effacer mes morts
                 fleurs d’oubli
                 herbe à prière
                 feux de coeur
mes morts quand vous rejoindrai-je
pour danser les nuits de lune
dans les clairières du ciel?

II

Je n’ai pas la force des fleuves
je ne charrie pas de limon
ni de jacinthes sauvages
hantées de brefs crépuscules
et les tam-tams ne m’annoncent point
sur des pirogues de fête
je viens d’un vieux pays
où le geste d’aimer
a tant servi de foi
que les cœurs sont polis
que ta peau est usée
que le corps est sans poids
sur une terre lourde
comme un chemin de croix.

III

Toi l’étranger partout croisé
dans ces boulevards d’errance
sillonnant les départs
tu as toujours le même regard
langage sombre du silence
demain sera l’absence
lors la main cherche l’autre
pour croire que les mots
bâillonnés dans les cœurs
seront perçus dans la chaleur
des peaux offertes à nos hasards
mais il est trop tard
pour aimer ou pour croire
un étranger m’attend là-bas
un étranger que je ne comprends pas.

IV

J’ai tellement navigué
entre des ports sans âme
où des marins douteux
s’enivrent jusqu’aux larmes
de gros vin et d’amour
pour des filles sans âge
j’ai tellement cherché
une miséricorde
en essayant d’aimer
plus loin que leurs mains vides
ces êtres de fatigue
que je ne croyais plus
qu’il existait encore
une bouche ou goûter
l’innocence d’un fruit
et caresser un corps
sans que vienne l’ennui.

V

J’ai – gorge offerte –lancinant
un cri d’oiseau qu’a perdu l’horizon
j’avance sur cette eau verte
j’ai peur plus que de raison
et je cherche pourquoi
tant de liberté
ne m’a pas donné
un bonheur plus grand
mes ailes sont courtes
et le vent violent
je rêve à la cage
qui m’eût protégée.

VI

Petit marin à la peau douce
ton odeur de cordage mouillé
entre mes lèvres s’est ancrée
j’ai dérivé entre des ports
où les méduses guettaient leurs proies
où nul ne te connaissait
où les chiens hurlaient à la mort
à la lune
à n’importe quoi
où les hommes se terraient
où les enfants naissaient sans voix
petit marin à la peau douce
un jour je te retrouverai
sur les vagues je te bercerai
dans mon cœur je t’enferrerai.

VII

Je vais vers toi
comme un voyageur vers un arbre
laisse-moi croire à ton feuillage
à la douceur de ton lit de mousse
laisse-moi me lover si douce
au creux de ta branche maîtresse
laisse-moi reposer ma faiblesse.

VIII

J’aurais voulu arriver les yeux nus
et t’offrir un corps vierge de mue
j’aurais voulu ne pas avoir connu
la haine
ni la douleur
aux creux des reins
j’aurais voulu n’avoir jamais eu
du sang
sur les mains
j’aurais voulu ne pas voir sur ton front
les ombres de mon passé
et pouvoir dans mon cœur
t’appeler le premier
mais je viens de si loin
et j’ai tant dû chercher
l’éclat d’or de ta peau.

IX

Tu auras beau faire
et beau faire
et beau dire et courir
tu ne m’échapperas pas
je suis celle qui chante
quand le diable la hante
et qu’au profond des nuits
il transforme en bacchante
celle qu’on t’a choisie
pour t’éviter le pire
mourir jeune d’ennui
dans un éclat de rire.

X

Faudra-t-il que je t’aborde
par le biais
par le louvoiement
faudra-t-il que je t’accorde
un regard vide
indifférent
faudra-t-il que je joue
cette farce cruelle
des bourgeois bien-pensants
que je ne dise pas
que la vie devient belle
rien qu’en te regardant
et que tous ces longs jours
précédant celui-là
je trahissais l’amour
en souriant parfois.

XI

Quand je te retrouverai
garde le silence
laisse nos sangs se calmer
d’une trop longue absence
et nos regards mesurer
de nos vies la distance
quand je te sourirai
ouvre-moi tes bras
afin que se comble
le vide qui m’enterre
donne-moi tes lèvres
afin que s’apaise
ma faim de toi
celle de tous mes rêves
ma soif de toi
et que cesse ma fièvre.

XII

Le temps aura perdu
son visage de pierre
je sentirai la vie
bouger sous les paupières
et les cœurs affolés
battre sous les statues
lors le danserai nue
une intense prière
pour que nos amours durent
plus longtemps que la terre.

XIII

Je tente mais en vain
de détourner ton regard de mes lèvres
et d’échapper à cette fièvre
que je devine dans tes mains
déjà tremblent mes reins
car je sais que désormais
nous sommes liés par ce désir
qui ne nous laissera de paix
que dans les orties du plaisir.

XIV

J’ai peur de ton désir
de tes jambes enracinées
de ta lèvre gonflée
aimantant mon délire
j’ai peur que tes bras
emprisonnent mon corps
et qu’entre toi et moi
se faufile ma mort.

XV

Peu me chaut la houle des autres
seules comptent les pulsations de ton sang
qui frappent dans ton cou
le rythme de mes joies
allumons les flambeaux
que la musique explose
je veux vivre ce que j’ose
et faire craquer le voile d’ennui
que tissent pesamment leurs regards endormis.

XVI

Tes lèvres
voiliers de grands départs
et tes mains qui me cherchent
étraves creusant l’horizon de mon corps
des vagues
pendant que sombrent
mes raisons d’autres fois
me bercent encore …

XVII

Tu es beau comme un gardien de chèvres
et j’imagine que nos ancêtres avaient comme toi
la peau dorée et les cheveux frisés
assis sur un muret de pierres
les yeux fendus par le soleil
taillant dans sous les bois
des flûtes pour appeler
les bêtes égarées
et faire trembler le pas
des filles qui passaient
une jarre sur la tête
je souhaite que les soirs
le troupeau rassemblé
auprès d’un brasier d’herbes
qui leur chauffait les pieds
sur une peau de bique
soigneusement tannée
ils aient versé des filles
aux lèvres vagabondes
et joui de tout leur corps
du seul plaisir du monde.

XVIII

Quand nous aurons bouté le monde
et que la porte sera close
quand j’aurai ôté de ta peau
la marque des interdits
quand tu seras nu devant moi
lisse comme un petit garçon
je laisserai mes mains et mes lèvres
te hisser au centre de mon désir
au cœur de la nuit la plus pure
nous galoperons dans les étoiles.

XIX

Ne me laisse pas échapper
à l’étreinte de tes bras
ne laisse pas s’écarter
nos peaux émerveillées
nos lèvres assoiffées
nos sangs mêlés
laisse-moi t’aimer
comme un matin le soleil...

XX

Cytise aux paupières closes
ma fleur d’été ma tige reine
ton parfum au creux de ma main
entre mes reins ton obscur mouillé
et l’amour en moi ne survit
qu’au mouvement de ton calice
qu’à l’arrêt de mes supplices
mes cuisses
sont deux genêts
agités par le vent.

XXI

Je contemple ton corps qui salue le soleil
le frisson du matin qui glisse sur ta peau
enlevant de la nuit la noirceur du sommeil
je contemple ton corps et puis je m’émerveille
de ta joue qui sourit de ce nouveau cadeau
unissant chaque jour et ton sang et le vent
comme un arbre dressé dans les forêts du temps
je contemple ton corps qui salue le soleil
dressant ses oriflammes dans le jour redonné
et je crois bien alors à ton éternité.

XXII

Mon sein fruit d’été nu à ta bouche
petit sésame de mes soupirs
fait doucement mes cuisses s’ouvrir
et mes mains affolées
se retenir au vent
tandis que je me perds en gémissant
ô mon aimé qui peut
d’un geste tendre
me faire aller plus loin
qu’une lumière d’étoile
ne laisse plus attendre
nos cœurs et nos corps
ces malmenés d’une morale pale.

XXIII

Doux à mon cœur les mots caresses
les mots qui troublent ma raison
silence de tes mains qui pressent
mes seins dans leur verte saison
morsure à mon cœur qui rêve
l’idée de ne plus avoir
un jour au bout de mes lèvres
ta peau si lisse mon miroir.

XXIV

Tes mains sur mes banches
ont composé les bouquets
de nos nuits obsédantes
où nos cœurs éclatés
s’unissaient
en caresses immortelles
tes mains – ô mon aimé – ont
de chaleur réveillé mes joies engourdies
de douceur donné folie à mon attente
de couleur étonné le soleil fulgurant
de notre cri.

XXV

O ma colombe ô ma douce
ma tourterelle crucifiée
mes mains calices
ourlent ta chair exaspérée
tandis que se penche ma bouche
sur ton désir enraciné
qui perdure mon supplice
et que s’écoule
mon lait de vierge indomptée
mon sang de licorne farouche
entre tes lèvres énamourées.

XXVI

Tes mains de soleil
ont moulé mon corps nu
tes lèvres sur ma peau
ont chanté mon éveil
nous sommes sans passé
demain ne viendra plus
seul le temps de t’aimer
accède à ma mémoire.

XXVII

Je me crois Prométhée
quand le glisse mes mains
contre tes hanches douces
et ton brandon dressé
quand je presse ma bouche
sur ton cœur affolé
non je ne rougis pas
d’être tout à la fois
fille pudique et fille de joie
pour voir dans le plaisir
ta bouche supplier
et crier de délire
quand s’ouvre sous mes doigts
le feu de ton désir
qui nous roule tous deux
sur le brasier des dieux.

XXVIII

D’or est la peau
du Bien-Aimé
quand l’éclaire
le feu de mon regard
douces les vierges tuées
pour ses litières
de lupanar
trop tendres sont ses mains
sur mes seins transformés
et sur mon ventre ouvert
comme un soleil d’été.

XXIX

Ta joue
c’était l’aube
et ton visage dans mon cou
cherchait un tapis d’herbes
pour y bercer notre attente
tes yeux
c’était un ciel dur
troué de météores
et je savais déjà
que l’ombre de tes cils
cachait ma destinée
mais je ne voulais pas la lire
tes mains – ô tes mains –
c’était sur mes rivages
l’immense progression
de mystérieux orages
en forme de questions.

XXX

Connais-tu le piquant des blés
sous tes fesses embrasées
quand le soleil te chevauche
et que le ciel éclate
dans l’orage attendu de ton sang
je vois au coin de ta bouche
l’ombre d’un baiser d’été
et dans ton sourire gêné
que longues sont les nuits d’hiver
quand dort la sève
des moissons futures.

XXXI

Indurée
ma joie
se trouve emprisonnée
dans une gangue de tristesse
jusqu’à ce que je te voie
que je sente ton odeur de bête douce
jusqu’à ce que je me sois
frottée à toi sur la mousse.

XXXII

Je ne veux pas savoir
comment seront les jours
où je ne verrai plus
ton sourire
source de mes délires
resterai-je immobile
sans un souffle de vent
pour animer mon corps
ou comme une cavale
épuisant son désir
dans un galop sans fin
me mettrai-je à courir
je ne veux pas savoir
comment dans mes bras vides
je bercerai le temps.

XXXIII

Aube refuge moitié
de ton silence
aux mains fermées
sous les paupières de l’oubli
pour moi seule dans tout ce gris
la tache blanche de l’absence
pliée comme un oiseau sans vie
les genoux juste sous le nez
refusant la réalité
je confonds dans un baiser mouillé
le jour nouveau et ton visage aimé.

XXXIV

J’ai gardé sur mon corps
les marques du plaisir
que tes doigts inspirés
ont tracé sur ma peau
je ne peux que gémir
quand mes seins se rappellent
ta bouche qui pressait
le temps de mon désir
quand mon ventre fidèle
semblait sentir en lui
ta vie – qu’elle était belle
quand la lune était pleine.

XXXV

Tu reviendras
chercher au bout
de mes doigts de fée
le calice de la fleur d’oubli
tu reviendras
après avoir frotté
ton souvenir aux peaux d’ennui
tu reviendras
ouvrir mes mains closes
refermant le soleil.

XXXVI

Ton absence est mon leurre et ma métamorphose
je te dure dans le flou d’imaginaires contrées
et mes mains agitées dessinent d’étranges rives
dans le vide mouvant de ma passion charnelle
pour ton corps possédé le temps d’une illusion.

XXXVII

Maya
mon doux repos
ma patiente promesse
berceras-tu longtemps
mon bagage de cendres
et ma bouche brûlée
sous ses lèvres trop tendres
j’ai besoin de me perdre
dans sa peau
dans ses reins
et que la terre éclate
dans ses yeux
dans les miens
rien qu’un éclair
un seul
mais qu’il ne reste rien.

XXXVIII

Tu ne connais pas
ma chambre et ses murs
en pierres d’attente
où vient se caresser la vague
qui chaque nuit m’emporte au large
tu ne connais pas
mon attente de toi dans le noir
quand le mal de mer
quand le mal de mort
est le mal de toi.

XXXIX

J’ai rêvé de toi cette nuit
à ton corps dans mon corps
comme une terre promise
comme une source chaude
que viennent encore le sommeil
et l’illusion de ta présence
que je retrouve la vie
d’un corps docile à ton absence
que vienne la nuit
que monte la lune mon amie
que je rêve que je rêve encore
de l’ombre de ton corps.

XL

Toi qui peut tout
que je sois dans tes bras
et que sur ta peau nue
je me glisse hors du temps
fais que de nos baisers
la durée s’éternise
que je ne sache plus
ce que j’étais avant
que je sois recréée
par la chaleur des ondes
de tes mains qui me tuent
et me remettent au monde.

XLI

Je ne sais comment te dire
ces mots terribles et trop usés
ces mots que je pourrais saigner
tant mon cœur crève à les faire vivre
je sais qu’ils ne les croiraient pas
s’ils me voyaient te les chanter
les amis des chemins refusés
et celui qui m’attend là-bas
je ne sais comment te dire
qu’il me serait doux d’en finir
plutôt que de te voir douter
de mon je t’aime émerveillé.

XLII

J’ai trouvé au creux de ma main
entre les lignes de mon destin
rougies par le feu de nos liens
deux rameaux si bien tressés
comme chèvrefeuille et coudrier
cœur et corps entrelacés
que je reste à me demander
de quelles croix ils sont chargés.

XLIII

Je ne tiens que le vent
quand je garde mes mains
ouvertes à ta présence
je te cherche partout
en murmurant ton nom
pendant ces jours si longs
où la nuit me terrasse
sans me donner ton corps
où la vie m’embarrasse
où je songe à la mort
plus douce
que ton absence.

XLIV

J’ai croisé l’ange de la mort
sur un chemin planté de croix
ses yeux de mille éclats
ont transpercé mon corps
des épines de fer
sont entrées dans la chair
trop tendre de mon amour
et à cet instant-là
j’ai entendu ta voix
qui me disait toujours.

XLV

J’entends les grillons chanter
mais la foule va gronder
je vois la lune monter
mais la foule va hurler
car j’ai ouvert ma chemise
offert ma gorge à la lumière
mes mains douces insoumises
à ton désir à ma prière
mais la foule m’a lapidée
et mon sang coule sur les pierres
mon cœur tendre qui riait
s’est ouvert.

XLVI

T’emporterai-je un jour
aussi loin que ma vue
a porté mon espoir
auras-tu la ferveur
de suivre dans le sable
mes empreintes de sel
et de calmer mon cœur
quand je me croirai seule
à bénir l’Eternel
de nous avoir donné
un amour à porter
comme un enfant dans le désert.

XLVII

J’ai glissé une entrave
dans le fermoir
de mon bracelet d’esclave
pendant que s’égrènent
les heures de ton absence
pendant que je traîne
mes membres chargés
de tant de peines
de tant de chaînes
pendant que se balance
le temps de ton agonie
ô mon maître asservi.

XLVIII

Je fus la note obscure
qui déchire le temps
et ouvre les doigts des soleils
je fus celle que tu .murmurais
aux heures de prière.

XLIX

Je suis comme une gueuse
au ventre vide
et tordu de désirs
dont les tiraillements
réclament ton festin
et ma faim carnassière
rôde à pas souples et lents
autour de ta présence imaginaire.

L

Ton sourire fantôme
source de mes métamorphoses
hante mes couches sombres
où sèchent mes désirs
et j’apprends à gémir
à l’ombre de ton nom.

LI

Derrière les grilles scellées
j’attends la fin de l’absence
seul me parle le muezzin
pour m’appeler à la prière
j’erre nue sur les tapis de pierre
où cliquettent les chaînes
qui m’entravent
le sexe et le cœur
aux murs de déraison.

LII

Je regarde mes mains privées
de ta peau magicienne
et je reste étonnée
que tout mon sang avide
continue à brasser
une vie dénudée
de ton sourire illuminé
que mon ventre et mes seins
se soulèvent au vent
de cette nuit de ma mémoire
je ne sais qui je suis
mais si je cessais d’aimer
je cesserais de vivre.

LIII

Plus jamais
faut-il que plus jamais
je ne pose ma main
sur ta chaleur
que nos doigts s’entrecroisent
préfaçant une étreinte
- un croisement de feux -
écrite par les dieux
plus jamais
le baiser du matin
du bout du monde
à la pointe du sein
ô l’odeur de l’aube heureuse
ô le goût de ta chair amoureuse
son soleil déchirait ma nuit
et engendrait mon premier cri.

LIV

Mon corps vide de toi
promène sous les soleils
sa peau de chagrin fou
des hommes la réveillent
en approchant leurs mains
malheur à qui sommeille
je suis un froid qui brûle
comme une lune bien pleine
de pierres et de feux
de cris et de dieux
hurlant à tous les chiens
le chant des amours vaines.

LV

Je n’ai plus que les mots
pour adorer ton corps
et même en lettres d’or
ils ne suffiraient pas
à caresser ta peau
à chanter son éclat
je n’ai plus que les mots
pour protéger encore
mon amour contre sa mort
ils ne suffiront pas
à franchir les créneaux
dressés par tant de bras
i1s ne suffiront pas
à troubler ton repos
de guerrier sans combat
je n’ai plus que les mots
pour reprendre mon pas
de chercheuse d’échos.

LVI

Je ne sais sur quel rivage
J’ai laissé mon rire endormi
ô mer larme des dieux
près du désert des hommes
je ne sais où mes yeux
ont pris ce goût de sel
était-ce à contempler
ton corps condamné
dans son silence obstiné
les jasmins fleurissaient
sous tes mains paresseuses
qui sont passées sur moi
comme une vague creuse
le sable
et puis s’en va.

LVII

A mon frère de route et de déroute:

Ne cherche plus
au fond de mes yeux de mer
l’écume des nuits perdues
dans la course aux chimères
il n’y a que des larmes amères
et quelques ouragans cachés
dans mon sourire de naufragée
comment pouvais-je croire encore
qu’avec tes prudences de sage
tu m’aiderais à vaincre le sort
qui toujours m’éloigne le port
moi qui ai déjà vu la mort
aux mains nerveuses et sauvages
rester peureuse sur le rivage
dont je vois s’effacer le bord.

LVIII

J’attends que le temps
me délivre
de la prison de silence
où je suis enfermée
jusqu’à ce que tu oses
prononcer le mot clef
qui me rendra l’aube
et la liberté.

LIX

Mon amoureuse pierre
pupille noire de mon cœur
tu pèses chaque nuit
plus lourd que ma vie
et nous dormons ensemble
en parenthèse d’un temps
qui n’appartient qu’au vent
de ma défaite
bercée dans tes bras froids
j’attends que se ferment tes doigts
sur mon âme infrangible.

LX

O mon obscur ô ma peau d’ambre
les tentes de l’amour sont parties
où m’attendait les nuits d’été
ton corps de lune
je ne vois que le vent
qui doucement remue les dunes
et je ne sais si mes yeux fatigués
à te chercher dans le reflet des puits
suivent mon souvenir
ou un mirage
et me font avancer vers une ombre.
Mais seule dans le désert
m’attend une tombe
sur laquelle est gravé
le nom
que tu m’avais donné.

LXI

Tu n’es plus que l’imaginé
je reste seule à te regarder
quand je voudrais te caresser
à cœur perdu à corps brisé
tu es ma lune et mon désert
mes pas dans l’éternité
mes nuits de fièvres désirées
à vouloir de ta peau la lumière
entre mes mains apprivoisées
je ne veux plus rien dire
je ne veux plus qu’aimer.

Commentaires

La poesia de Gil Pasteur comporta un mensage directo lleno de simbolismo sensual. Pero sus imágenes no se agotan en descriptiones formales, sino que tienden a un contenido sustancial que las promueve a la categoría metafísica.

El testimonio poético de la autora, profundamente femenina, afirma esa condición, sublimándola a través de un "bien decir" musical y rítmico.

Édition originale

Vous pouvez commander l’édition originale bilingue (version française originale et traduction espagnole), publiée en 1976 à Montevideo, jusqu’à épuisement du stock. Le prix est de 5 € par exemplaire (frais d’envoi compris). Pour passer commande, il suffit d’envoyer un mail à webmaster@pasteur.ch en indiquant quel(s) recueil(s) vous désirez ainsi que le nombre d’exemplaires. Le paiement se fait par chèque à la livraison.

Noces de Sable / Bodas de arena

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